[Histoire] Les "femmes de réconfort" : une blessure toujours ouverte en Asie
- CoreePassion.fr
- 9 juin
- 6 min de lecture
Prologue – Une blessure partagée
Cet article a été commencé il y a un an avec mon amie Corinne.
Nous sommes toutes les deux des femmes engagées, et des femmes passionnées par la Corée. Et, au fil de nos découvertes, cette page de l’Histoire est apparue comme une blessure profonde, béante.
Tout a commencé pour moi avec un drama. J’aime beaucoup l’acteur Rowoon, et j’ai regardé Tomorrow.
Un épisode en particulier m’a saisie, bien que chaque histoire de cette série soit poignante. C’est l’épisode 13, celui qui parle de la terrible histoire des femmes de réconfort.
À la fin de l’épisode, j’ai voulu en savoir plus. Et en cherchant sur Internet, les larmes sont apparues.
Un sentiment de honte pour mon ignorance. Une douleur insoutenable face à l’horreur de l’Histoire. Un cri étouffé dans ma gorge serrée, à chaque fois que je pense à ces femmes.
Alors, nous nous sommes documentées : articles de presse, Wikipédia, intelligence artificielle…Tout pour essayer de comprendre l’insoutenable.Et cet article a commencé à jaillir, d’abord dans nos cœurs déchirés, puis doucement sur l’ordinateur.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, des dizaines de milliers de femmes asiatiques ont été contraintes de se prostituer pour l’armée impériale japonaise. On les appelle les "femmes de réconfort". Derrière ce terme euphémique se cache une tragédie humaine d’une ampleur dévastatrice. Coréennes, chinoises, philippines, vietnamiennes, néerlandaises… elles ont été enlevées, trompées, violentées. Aujourd’hui encore, leur histoire reste au cœur de vives tensions diplomatiques et d’un combat mémoriel porté par des survivantes devenues des symboles de courage.
Une violence organisée par l’État japonais
Dès les années 1930, et particulièrement pendant la guerre du Pacifique (1937-1945), le Japon met en place un système de "stations de réconfort" pour ses soldats. Objectif : éviter les viols de masse non contrôlés, contenir les maladies vénériennes et "remonter le moral" des troupes.
En réalité, il s’agissait de réseaux de viols systématisés. Les femmes étaient raflées, promises à de faux emplois, ou même achetées. Certaines avaient à peine 14 ans. Dans ces "maisons de réconfort", elles subissaient jusqu’à 30 viols par jour, sans repos, sans soin, sans espoir.
La majorité était coréenne, car la Corée était à l’époque une colonie japonaise.
L’après-guerre : un retour au silence, une nouvelle blessure
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les femmes réduites en esclavage sexuel par l’armée impériale japonaise sont officiellement « libérées ». Mais que signifie cette liberté pour des femmes brisées, malades, mutilées, détruites psychologiquement ? Pour la quasi-totalité d’entre elles, il ne s’agit pas d’une libération, mais d’un abandon.
Le retour au pays n’est pas une renaissance. Celles qui parviennent à regagner leur foyer font souvent face à l’incompréhension, au rejet et à la honte. Comment expliquer qu’on a été violée des dizaines de fois par jour, qu’on a été utilisée comme une marchandise humaine ? Dans des sociétés profondément patriarcales, elles sont perçues comme « souillées », « indignes » d’une vie de famille.
Alors, beaucoup fuient. Elles quittent leur village natal, s’installent en ville sous un faux nom, vivent dans la précarité. Certaines, sans autre solution, se tournent vers la prostitution pour survivre.
Et au fil des décennies, l’oubli s’installe.

1991 : Kim Hak-sun brise le silence
Il faudra attendre 1991 pour que le silence soit enfin brisé.Cette année-là, une femme coréenne nommée Kim Hak-sun prend publiquement la parole.Elle témoigne de l’enfer vécu, devenant la première survivante à dénoncer publiquement ce crime de guerre.
Son courage bouleversera la Corée et le monde entier. Ce fut un véritable choc national.
Il marquera un tournant majeur dans la reconnaissance de ces victimes, amorçant un long combat pour la vérité, la justice, et la mémoire.
De survivantes à militantes
D’autres femmes suivent. Elles réclament des excuses officielles et des réparations justes.
Elles deviennent des militantes infatigables, malgré leur âge, malgré la maladie. Chaque mercredi depuis 1992, des rassemblements ont lieu devant l’ambassade du Japon à Séoul. Ces "Wednesday Demonstrations" sont aujourd’hui les plus longues manifestations hebdomadaires au monde.

Une journée de commémoration officielle
Depuis 2018, la Corée du Sud observe chaque année le 14 août comme Journée nationale de commémoration des victimes de l’esclavage sexuel militaire japonais (일본군 위안부 피해자 기림의 날).
Cette date marque le courage de Kim Hak-sun, première survivante à avoir témoigné publiquement en 1991.
À cette occasion :
des cérémonies officielles sont organisées par l’État ;
les écoles, universités et musées organisent des événements éducatifs ;
des jeunes générations s’associent aux militantes pour honorer la mémoire ;
des manifestations et performances artistiques se tiennent dans tout le pays ;
les statues de la Paix sont fleuries et honorées.
À l’international, plusieurs villes comme San Francisco, Toronto, Berlin ou Sydney organisent également des événements commémoratifs le 14 août.
Reconnaissance tardive, controverses continues
Le Japon a reconnu partiellement les faits dans les années 1990. En 1993, la déclaration Kono évoque la responsabilité de l’armée. Mais Tokyo refuse toujours de reconnaître la responsabilité juridique de l’État, parlant de "responsabilité morale". Plusieurs accords bilatéraux ont été signés (en 2015 notamment), mais ils sont souvent jugés insatisfaisants, car sans réelle consultation des survivantes.
Des tensions diplomatiques persistent entre le Japon et la Corée du Sud, mais aussi avec d’autres pays concernés. En 2021, un tribunal sud-coréen a reconnu pour la première fois la responsabilité du Japon, déclenchant une crise diplomatique.
En résumé, en 2025, le Japon n'a toujours pas reconnu officiellement les crimes de guerre liés aux « femmes de réconfort ». Les excuses précédentes restent en place, mais elles sont considérées par beaucoup comme insuffisantes, et les demandes de reconnaissance juridique et de réparations continues.
Une mémoire vivante
La mémoire des "femmes de réconfort" est aujourd’hui portée par des musées, des monuments, des documentaires, des œuvres d’art. La plus célèbre représentation est sans doute la "Statue de la paix", représentant une jeune fille assise, en hanbok, les poings serrés, regardant le lointain. Une chaise vide à côté d’elle invite les passants à s’asseoir en solidarité. Cette statue a été copiée dans plusieurs villes du monde.
Le combat est aussi culturel. Des romans, des films, des pièces de théâtre racontent cette histoire trop longtemps tue. Parmi les plus marquants : le film sud-coréen "I Can Speak" (2017), inspiré d’une survivante, ou le roman "Fleurs de feu" de Kim Soom.
Un devoir de mémoire féministe et universel
L’histoire des "femmes de réconfort" n’est pas seulement une tragédie asiatique. C’est une affaire universelle. Elle interroge la manière dont les femmes sont utilisées comme butin de guerre, la difficulté des États à reconnaître leurs crimes, et l’importance de la justice restaurative.
Aujourd’hui, les survivantes se font rares. Mais leur combat continue grâce aux jeunes générations, aux artistes, aux historien·nes.
Faire vivre leur mémoire, c’est refuser l’oubli et l’impunité.
Ecrire cet article m’a tiré les larmes. Chaque témoignage me serre le cœur. Ces femmes, dont la dignité a été volée mais jamais brisée, m’inspirent un respect infini.
Il est insupportable de penser qu’en 2025, elles doivent encore se battre pour une reconnaissance pleine et entière. Leur combat ne concerne pas que l’Asie : il nous parle à tous. Il nous rappelle que la paix ne peut jamais se construire sur l’oubli, que les violences faites aux femmes en temps de guerre ne sont pas des « dommages collatéraux », mais des crimes à nommer, à juger, à réparer.
À travers cet article, je rends hommage à leur courage et à leur ténacité.
Et j’invite chacun(e) d’entre vous, lecteur(ice), à faire un geste : lire leur histoire, partager leur mémoire, soutenir leur combat.
Parce que se souvenir, c’est aussi résister.
Pour aller plus loin / Références
Amnesty International – Rapport sur les « femmes de réconfort »https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2007/11/japan-comfort-women-demand-justice-20071127/
The Korean Council for Justice and Remembrance for the Issues of Military Sexual Slavery by Japanhttps://womenandwar.net
United Nations Human Rights Council – Rapport Coomaraswamy (1996)Lien vers le rapport PDF (en anglais)
BBC News – Comfort Women: The fight for justicehttps://www.bbc.com/news/world-asia-24633388
France Culture – "Femmes de réconfort, l’histoire étouffée" (2020)https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/femmes-de-reconfort-l-histoire-etouffee-7253935
Asia-Pacific Journal – Articles de Yoshiko Nozaki, Yoshiaki Yoshimi, Alexis Dudden https://apjjf.org/
Lucile Wassermann, « À Séoul, les "femmes de réconfort" perdent leur statue », Le Monde, 29 décembre 2015. Le Monde.fr+2Le Monde.fr+2Le Monde.fr+2
Livre : Fleurs de feu (김숨 / Kim Soom), éditions Decrescenzo
Film : I Can Speak (2017), réalisé par Kim Hyun-seok) #Femmesdereconfort #guerre #esclavagisme #
Pour moi aussi, cet épisode 13 de Tomorrow a été une grosse claque. Le plus bouleversant de ce drama, qui l'est lui-même déjà tellement.
En tant que femme, fille, soeur et mère, ce sont toutes les fibres de mon être qui ont crié et se sont révoltées à la découverte de l'horreur immonde qu'ont endurée ces femmes.
Merci beaucoup pour cet article qui leur rend hommage, à défaut de réparation.
Je viens de lire et j’ai pas de mots pour exprimer ce que je veux écrire tellement ca me fait mal , j’espère de tout cœur que le gouvernement Japonnais reconnaissent a 100% ce crime que toutes ses femmes ont subit 🙏pour toutes celles qui ne sont plus pour celles qui sont encore et pour leursdescendants. Je dis respect M. Kim Hak-sun il a fallu beaucoup de courage et de force pour en parler et respect a toutes celles qui militent encore et toujours 🙏.
Des excuses ne feront pas oublier , mais ce sera une reconnaissance pour elles , les cicatrices ne se referme jamais complètement.
Merci merci pour ce partage 🙏
Merci de mettre en avant cette page sombre de l'histoire de la domination japonaise. Alors que l'innommable a été commis, le scandale perdure dans le refus, par l'Etat japonais, de reconnaître officiellement la responsabilité des forces d'occupation. Quand bien même les faits se sont déroulés à une autre époque, rétablir la vérité et présenter des excuses officielles est le devoir de tout Etat. Il faut avoir ce courage. Mais la plupart du temps, les Etats se dégonflent, craignant l'incident diplomatique et les conséquences en termes de réparation. Il en va toujours ainsi de l'Histoire. Et depuis toujours, les femmes paient un lourd tribut aux guerres. Le viol est malheureusement une pratique répandue : le viol comme arme de guerre, pour…
lorsque nous avons commencés a travailler sur ce sujet, ou le devoir de mémoire est indiscutable, je me suis mise a la place de ces femmes sans le vouloir....comme le dis sandrine, à chaque témoignages, chaque photos et articles lus, nous avons été retournées, bouleversées et solidaires de ce qu'on vécues ses femmes de courages....Nous aimons la Corée, mais elle a une histoire dramatiques sur cette période....Nous sommes fières de pouvoir attirer votre attention sur un fait déchirant de l'histoire des coréennes ,que très peu connaisse....
Je suis triste, cela me touche incroyablement . J'espère de tout coeur que le Japon reconnaitra ses torts . Tout mon respect Mesdames, je vous soutiens à 100%😢