De la Corée au Japon : l’histoire millénaire de Kongō Gumi
- 산드린 France

- 21 août
- 5 min de lecture
C'est lors d'une discussion autour d'un apéritif entre amis que j'ai découvert cet autre petit trésor de Corée.
Vous avez déjà remarqué comme les discussions à l'apéro peuvent être éclairantes et source d'idées nouvelles ?
En tout cas, ce fut le cas pour moi lorsqu'au détour d'une conversation nous en sommes venus à nous demander quelles étaient les entreprises les plus vieilles au monde (le tout était parti de quels brasseurs de bière étaient les plus anciens entre les belges et les allemands, mais ceci est un autre sujet.).
Alors que le débat se lançait autour de la table, l'une des participantes a dégainé son téléphone et a lancé la phrase désormais culte : "Ok Google... "
"dis-moi quelle est la plus vieille entreprise du monde encore en activité."
Google sort alors une liste de 12 entreprises toujours existantes aujourd'hui.
Dix d'entre elles sont européennes, mais la première, la plus ancienne et de loin (plus de 120 ans avant la deuxième !) est japonaise.
Quel rapport avec la Corée ? (je vous entends d'ici)
Eh bien, je vais vous raconter son histoire et vous allez comprendre !
En l'an 578 de notre ère, voilà plus de 1400 ans, le prince Shotoku, enfant surdoué, fin politicien et considéré comme un saint du bouddhisme pour avoir développé cette religion au Japon, décide de faire construire le premier temple bouddhiste du Japon.

Pour cela, il lui faut les meilleurs artisans de ce domaine. Après de sérieuses recherches, c'est dans le royaume de Baekje (백제) que le prince trouve la perle rare.
Baekje est alors l'un des Trois Royaumes qui occupent l'actuelle Corée du Sud. Les deux autres sont Silla (à l'Est) et Goguryeo (au Nord).

Ainsi donc, vers la fin des années 570, un artisan-constructeur coréen de Baekje a émigré au Japon avec toute sa famille à la demande du prince Shotoku pour construire le temple Shi Tennō-ji, à Osaka (construction achevée en 593).
Il semblerait que ce constructeur coréen ait dû changer son nom de naissance en arrivant au Japon afin de pouvoir y vivre. Il a adopté le nom japonais Shigemitsu Kongō et on n'a aucune trace de son nom d'origine, perdu dans le temps et les guerres.

La famille Kongō, une fois implantée au pays du soleil levant, a continué à prospérer dans la construction de temples et d'édifices prestigieux. Leur entreprise, Kongō Gumi, s'est spécialisée dans la construction et la restauration de temples bouddhistes et de sanctuaires shintoïstes, une activité qu'elle poursuit encore aujourd'hui. Son succès est tel que ce sont toujours des membres de cette famille qui ont dirigé l'entreprise jusqu'en 2006. En réalité, c'est surtout grâce à la tradition japonaise d'intégrer les gendres à la famille en leur faisant adopter le nom de la lignée que les Kongō ont pu perdurer tout ce temps, même en l'absence d'héritier mâle direct.
L'entreprise est, aujourd'hui encore, réputée pour son expertise unique dans les techniques de menuiserie traditionnelle, notamment le kigumi, un système d'assemblage du bois sans clous ni vis. Ce savoir-faire a été transmis de génération en génération. La devise de l'entreprise est
"l'héritage des techniques d'il y a 1400 ans pour l'avenir".
Les artisans de Kongō Gumi sont appelés Miya-Daiku, des maîtres charpentiers de temples et sanctuaires. Leur travail est un mélange d'art et d'ingénierie.
Au fil des siècles, Kongō Gumi a participé à la construction et à la reconstruction de nombreux monuments historiques du Japon, parmi lesquels on peut citer :
- Le temple Shitennō-ji (Osaka), qu'ils ont rénové et reconstruit à plusieurs reprises.
- Le château d'Osaka.
- Le temple Hōryū-ji (Nara), l'un des plus anciens bâtiments en bois au monde et un site du patrimoine mondial de l'UNESCO.

L'entreprise a su traverser de nombreuses crises et périodes de bouleversements : guerres civiles, incendies, tremblements de terre, et même la Seconde Guerre mondiale, période pendant laquelle elle a dû se reconvertir temporairement dans la fabrication de cercueils.
Le 32e dirigeant de l'entreprise, Yoshisada Kongō, a laissé un credo pendant l'ère Meiji, intitulé Shokuke kokoroe no koto, ou « connaissance familiale du métier ». Il s'agit d'une liste de 16 préceptes basés sur la riche expérience de l'entreprise et destinés à guider et à préserver les opérations de la famille dans le futur.
- Pensez à l'idée du confucianisme, du bouddhisme et du shinto comme exemple
- Écoutez ce que le client dit.
- Les charpentiers devraient surtout s'entraîner, lire et utiliser le boulier. [1]
- Lorsque vous êtes entouré de gens, occupez-vous de vos affaires.
- Ne buvez pas trop d'alcool.
- Habillez-vous d'une manière qui corresponde à votre situation. [2]
- Respectez les gens et faites attention à la façon dont vous interagissez avec les autres.
- Soyez gentil avec vos élèves.
- Ne vous battez absolument pas avec les autres.
- Ne faites pas honte à une personne et ne vous vantez pas.
- Rencontrez et parlez aux autres poliment.
- Ne faites pas de discrimination. Communiquez avec respect. [3]
- Traitez les clients avec respect. [4]
- En ce qui concerne une offre, soumettez l'estimation la moins chère et la plus honnête.
- Lorsqu'il n'est pas possible de décider par soi-même, consultez un parent et décidez ensemble. Cherchez une femme et laissez des descendants. Élevez correctement les enfants.
- À l'anniversaire de la mort d'un ancêtre, montrez du respect et organisez un service bouddhiste.
[1] Ce sont les compétences dont les charpentiers ont le plus besoin, concentrez-vous donc sur leur pratique. Apprenez d'autres compétences en fonction de vos capacités. Vous devriez être éduqué pour atteindre votre statut. Pour les autres compétences non incluses ci-dessus, vous devriez étudier en fonction de vos capacités et apprendre ce que vous devriez savoir pour atteindre votre statut. Vous ne devez pas être attaché à quoi que ce soit qui ne corresponde pas à votre statut.
[2] Vous ne devez pas porter des vêtements plus luxueux et plus fleuris que ne le demande votre statut. Pour les manières sociales autres que celles-ci, vous devriez étudier en fonction de vos capacités et apprendre ce que vous devriez savoir pour atteindre votre statut. Vous ne devez pas être attaché à quoi que ce soit qui ne corresponde pas à votre statut.
[3] Ne ségrégez pas les gens en fonction de leur statut. Traitez-les gentiment avec du bon sens.
[4] Faites face à tous les clients sincèrement sans cupidité.
Un code de conduite qui a permis à la famille et à l'entreprise de traverser avec succès un millénaire et demi de tempêtes en tous genres.
Mais après plus de 1400 ans d'existence en tant qu'entreprise familiale, Kongō Gumi a été confrontée à des difficultés financières, en 2006, en partie à cause d'un déclin de la demande et d'une concurrence féroce. Elle a été rachetée par le groupe de construction Takamatsu Corporation.
Bien que la famille Kongō ne soit désormais plus à la tête de l'entreprise, celle-ci continue d'opérer sous son nom historique, en tant que filiale, préservant ainsi son héritage et son expertise unique.
Pour en savoir plus (sources et liens) :


![[Histoire] Les "femmes de réconfort" : une blessure toujours ouverte en Asie](https://static.wixstatic.com/media/b75419_4d5221162759431bb45c15ef85773bde~mv2.png/v1/fill/w_749,h_376,al_c,q_85,enc_avif,quality_auto/b75419_4d5221162759431bb45c15ef85773bde~mv2.png)
Merci Cécile pour ton article très intéressant !! C'est une histoire passionante qui mérite d'être connue!!
La bière 🍺 a du bon, hein? 😉😂
👏👏👏
« Je découvre totalement cette histoire, je ne savais pas du tout que la plus vieille entreprise du monde avait des racines coréennes 🤯 ! C’est incroyable de voir que le royaume de Baekje a transmis son savoir-faire au Japon et que cette tradition a traversé plus de 1400 ans. Merci Cécile pour ce partage, c’est une vraie pépite »