L’exception coréenne : seule au monde à s’être évangélisée elle-même
- CoreePassion.fr
- 19 juin
- 5 min de lecture
Un jour, en pleine conversation sur la Corée, un ami très croyant m’a dit :
« Tu sais que c’est le seul pays au monde à s’être auto-évangélisé ? »
Sur le moment, la phrase m’a surprise, intriguée, mais je l’ai rangée quelque part dans ma mémoire.

Un jour, en pleine conversation sur la Corée, un ami très croyant m’a dit :« Tu sais que c’est le seul pays au monde à s’être auto-évangélisé ? »
Sur le moment, la phrase m’a surprise, intriguée, mais je l’ai rangée quelque part dans ma mémoire.
Et puis, l’été dernier, en regardant My Demon, une scène m’a saisie.
Suite à des rassemblements de quelques personnes découvrant des textes qui pouvaient changer l’histoire et donner l’espoir, des croyants catholiques étaient persécutés et exécutés pour leur foi.
Brutalement. Injustement.
Et là, cette phrase est remontée à la surface. Elle a pris tout son sens.Ce que j’avais vu en fiction faisait écho à une histoire bien réelle, que j’ignorais encore.Ce n’était pas une invention de scénariste, mais un fait historique.
Et cette histoire, singulière et bouleversante, j’ai eu envie de la raconter.Elle m’a poussée à découvrir comment, au XVIIIe siècle, une foi importée sans prêtre a pu s’enraciner en Corée, au prix du sang et du silence.
La Corée, terre de mission… sans missionnaire
En 1784, un jeune aristocrate coréen, Yi Seung-hun, se rend à Pékin dans le cadre d’une mission diplomatique. Là, il rencontre un prêtre jésuite français et demande à recevoir le baptême. Il devient « Pierre ».
À son retour à Séoul, il ne fonde pas une église, mais une communauté. Il ne recrute pas, il partage. Il ne prêche pas, il dialogue. Il initie ainsi, sans le savoir, l’unique Église catholique au monde née sans prêtre étranger.
Les Coréens avaient découvert le catholicisme à travers des livres venus de Chine, notamment Le Sens réel du Seigneur du Ciel du missionnaire jésuite Matteo Ricci. Ce courant d’intérêt intellectuel, appelé Seohak (« études occidentales »), avait ouvert les cœurs à une pensée nouvelle.
Seohak : quand la pensée ouvre les cœurs
À cette époque, une nouvelle vague intellectuelle agite la société confucéenne de Joseon. Des érudits s’intéressent à la science, à la médecine, à la géographie, mais aussi aux idées religieuses venues d’Europe.
Parmi eux, certains découvrent dans le catholicisme une vision du monde inédite : un Dieu unique, un salut universel, une foi fondée sur l’amour et non sur la hiérarchie.
C’est dans cette effervescence que le christianisme s’enracine en Corée. D’abord comme une curiosité intellectuelle. Puis comme une foi. Une foi vécue dans le secret, sans messe, sans église, mais avec conviction.
De l’élan spirituel au martyre
Mais cette foi ne plaît pas à tout le monde. Le catholicisme interdit le culte des ancêtres, pilier du confucianisme et de l’ordre familial. Il prêche l’égalité spirituelle, ce qui dérange une société de castes. Il devient rapidement suspect.
Dès 1791, les premières persécutions éclatent. En cette même année, Paul Yun Ji-chung est décapité à l’âge de 32 ans pour avoir refusé de renier sa foi. Il est considéré comme l’un des premiers martyrs coréens. Son frère, Francis Yun Ji-heon, mourra également en martyr en 1801.
Les persécutions s’intensifient au fil du siècle, jusqu’à culminer en 1866. En tout, près de 10 000 croyants sont exécutés. Certains sont laïcs, d’autres sont des prêtres clandestins venus en aide à cette Église née sans eux.
Parmi eux, André Kim Tae-gon, premier prêtre coréen, meurt décapité à 25 ans.
L’histoire les retiendra comme les martyrs de Corée.
Le 1er septembre 2021, après des recherches historiques et des tests ADN, l’évêque de Jeonju, Mgr John Kim Son-tae, a confirmé l’authenticité des dépouilles de trois martyrs retrouvées dans la ville. Une église dédiée à Paul Yun Ji-chung est actuellement en construction à Hyoja-dong, malgré de nombreuses difficultés financières.

Une reconnaissance tardive, mais éclatante
Ce n’est qu’en 1886, avec la signature d’un traité diplomatique entre la France et la Corée, que le catholicisme devient légal.
En 1898, la cathédrale de Myeong-dong est inaugurée à Séoul, construite sur le site où fut martyrisé l’un des premiers croyants.
Et en 1984, le pape Jean-Paul II canonise 103 martyrs coréens, lors d’une visite historique. Il déclare alors :
« C’est la seule Église au monde née non de la mission, mais de la foi des laïcs. »
En 2014, le pape François béatifie également Paul Yun Ji-chung et 123 autres martyrs lors de sa visite en Corée du Sud, lors d’une grande messe en plein air à la porte de Gwanghwamun, à Séoul.
Une mémoire encore vivante
Aujourd’hui, environ 11 % des Sud-Coréens sont catholiques, 20 % sont protestants, ce qui porte le total de chrétiens à 31 %, 15 % sont bouddhistes, et plus de 50 % n’adhèrent à aucune religion.
L’Église est néanmoins respectée, notamment pour son engagement en faveur des droits humains, de la démocratie et des plus vulnérables.
Durant les années sombres de la dictature militaire, c’est encore dans la cathédrale de Myeong-dong que les manifestants ont trouvé refuge. Des prêtres se sont interposés. Des sœurs ont formé une chaîne humaine. Le courage était toujours là.
Cette mémoire est encore palpable aujourd’hui, y compris dans les fictions. La scène qui m’a particulièrement marquée vient du drama My Demon. On y voit des catholiques coréens exécutés pour leur foi, dans une mise en scène aussi brutale que bouleversante. Cette fiction donne corps à l’Histoire, et rappelle ce que tant de croyants ont traversé dans le silence.
Une transmission toujours vivante
Il y a dans l’histoire du catholicisme coréen quelque chose de profondément singulier. Une foi née sans guide, transmise par les textes, nourrie de lectures et d’échanges intellectuels, puis vécue dans le secret et la persécution. Cette foi-là, née sans structure, a pourtant résisté aux siècles et aux massacres.
Aujourd’hui encore, cette histoire continue de résonner. Et si la fiction a le pouvoir de raviver la mémoire, elle nous rappelle surtout que ce passé n’a jamais cessé de laisser des traces profondes dans la conscience collective. La scène de My Demon, tout comme d’autres dramas coréens, donne à voir ces fragments de vérité que l’on croyait oubliés.
Les dramas coréens n’embellissent pas, ils dévoilent. Ils osent montrer les blessures invisibles, les combats silencieux, les héritages spirituels. Ils m’ont souvent menée à l’histoire, non par hasard, mais parce qu’ils savent où poser les projecteurs.
La Corée est ce pays unique qui s’est auto-évangélisé. Ce peuple a choisi librement, en pleine conscience et sans influence extérieure directe, une foi qui allait à l’encontre des traditions dominantes. C’est un hommage immense à leur liberté de penser, à leur courage spirituel, et à leur capacité à faire naître quelque chose de profond par eux-mêmes. Ce choix, né d’une quête de sens et non imposé de l’extérieur, continue d’inspirer, profondément.
Comments