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[Interview Cine 21] Films que j'aime - Le point de vue de l'acteur Lee Jun-hyuk sur le cinéma ①

Je m’en doutais. J’avais expressément demandé à Lee Jun-hyuk de m’envoyer cinq films qui, selon lui, incarnent la question « Qu’est-ce que le cinéma ? ». Et pourtant, la veille de l’interview, il m’a transmis une liste de dix titres.


Le double. En voyant cette sélection, j’ai souri : c’est tellement lui.

Comme beaucoup le savent, l’acteur Lee Jun-hyuk est un grand amoureux du septième art.

Quand on suit sa cinéphilie au fil des ans, on a parfois l’impression qu’il ne se contente pas d’aimer le cinéma — il retrousse ses manches et se fait entremetteur entre les films.


Lorsqu’un film lui plaît, il s’empresse de le recommander autour de lui, n’hésitant pas à en vanter les qualités pour inciter à la rencontre. Il est aussi passé maître dans l’art d’associer deux œuvres qui, a priori, n’ont aucun point commun. Et l’entretien qui va suivre en est la preuve. Gattaca et Anora, Nicole Kidman et Ma Dong-seok… Quels liens pourraient bien les unir ? Apparemment aucun.


Mais avec la passion sincère de Lee Jun-hyuk pour le cinéma, tout devient possible.



« Parlons simplement de films qu’on aime. »


C’est toujours un peu intimidant quand il s’agit d’en parler sérieusement. La liste m’est venue instinctivement. Certains films, que je pensais être des films de vie autrefois, ne le sont plus aujourd’hui.


— Chacun a sa propre définition du « film de vie ». Mais un film peut-il vraiment changer une vie ?


C’est justement pour ça qu’il est difficile d’en désigner un. Un film peut me toucher profondément parce qu’il résonne avec ce que je vis au moment de sa découverte. Mais même une œuvre sans rapport apparent avec ma vie peut parfois m’atteindre si elle entre en résonance avec mon état d’esprit du moment. Les films que j’ai choisis aujourd’hui sont ceux qui, récemment, m’ont amené à me remettre en question.



Protège moi — Gattaca, Anora, Premier Contact

Gattaca


— Tu as souvent exprimé ton affection pour Gattaca.


Ce qui m’avait marqué à l’époque, c’est la lutte de Vincent (Ethan Hawke), marginalisé à cause de l’eugénisme, pour s’intégrer coûte que coûte au système.


Tu vois la scène où il se frotte la peau sous la douche, pour faire disparaître ses cellules mortes ?


Je venais tout juste de devenir acteur et je faisais d’énormes efforts pour m’ajuster à l’industrie. Cette scène m’a profondément marqué. Quand Vincent atteint enfin son objectif, j’ai applaudi de tout cœur.

Mais ces derniers temps, je me demande si la fin du film est vraiment un happy ending. Vincent part dans l’espace sous l’identité de Jérôme (Jude Law), pas en tant que lui-même.

Le film ne nous dit rien de ce qui l’attend à son retour sur Terre. En tant qu’acteur et individu, je me transforme sans cesse pour m’adapter à la société. Mais le monde autour de moi évolue encore plus vite.

Alors, que faut-il que je remette en question, aujourd’hui, depuis là où je me tiens ? La réponse, pour moi, c’est : me préserver. C’est ce à quoi j’ai pensé en voyant Anora.


— Quel est le lien entre ces deux films ?


Quand j’ai vu Gattaca pour la première fois, la société semblait dire qu’il fallait parfois s’effacer soi-même pour réaliser ses rêves.

Mais aujourd’hui, les choses ont changé. On tend vers des directions plus saines. Dans Anora, Annie (Mikey Madison) finit par devenir véritablement « Anora ». Elle plonge corps et âme dans le monde du travail, puis dans sa relation avec Banya (Mark Eydelshteyn), pour s’intégrer à un système qui paraît désirable. Mais à la fin, elle admet que le plus précieux est de se protéger soi-même.


— Tu penses donc qu’Annie se préserve à la fin ? Pourtant, cette fin est sujette à interprétation.


Annie finit par ôter toutes les couches superflues qu’elle avait accumulées, et elle affronte le regard d’Igor (Yuri Borisov), qui voit en elle son vrai visage. C’est à ce moment-là que je pense qu’elle se préserve. Beaucoup voient d’abord le métier d’acteur avant de voir qui je suis. Et moi aussi, je rencontre des gens en mettant en avant cette fonction. Mais ai-je déjà rencontré quelqu’un qui me voit simplement comme l’humain Lee Jun-hyuk ? Ai-je déjà fait face à quelqu’un en tant que moi-même, sans rôle ? Après ce film, je me suis vraiment posé la question.


— Que t’évoquent les deux scènes de Gattaca où Vincent affronte son frère Anton (Loren Dean) à la nage ?


Je joue chaque rôle comme si c’était le dernier.

Comme Vincent, je cours et nage toujours à bout de souffle.

Annie est pareille.

Quand Vincent s’effondre sur le tapis de course ou qu’Annie, éreintée, se tient dans le métro, ça me bouleverse.

Si tu me demandes si Gattaca est mon film préféré, je ne saurais pas quoi répondre. Mais c’est un film qui m’a donné la force de tenir dans les moments difficiles. Ce genre de film te pose une question : « Et maintenant ? »

Que reste-t-il une fois sorti du système, au-delà de ses structures ? Je suis désormais plus âgé que Vincent dans le film. J’atteindrai peut-être un jour la fusée. Mais au-delà, comme dans Anora, il faut apprendre à se confronter à soi-même. Anora, c’est peut-être justement la suite de Gattaca, ce qu’il se passe après l’embarquement.


— En ajoutant Premier Contact à la discussion, on touche à la structure même de la SF : le protagoniste y est toujours un sujet décisionnaire, mais cette décision relève souvent de l’endurance plus que du choix pur. Le choix final de Louise (Amy Adams) en est l’exemple parfait.


On sait tous ce qu’il y a au bout de la vie : la mort. Vivre, c’est marcher vers cette fin. Ce que Premier Contact m’a apporté, c’est un regard rétrospectif sur tous ces choix que l’on fait en vivant. Même quand on s’écarte du chemin, il y a toujours quelque chose à en tirer. Louise accepte le futur, et pourtant, son chemin ne semble pas tragique. Elle sait que chaque instant vécu contient une multitude de petits bonheurs. Moi aussi, je suis dans un métier de choix et où l’on est choisi. Peut-être que c’est pour ça que ce film m’émeut autant.


— Que penses-tu de Denis Villeneuve, devenu une figure majeure du space opera hollywoodien depuis Premier Contact ?


J’aime tous ses films. Il parvient à créer cette sensation que, pendant toute la durée du film, le cinéma nous transporte dans un autre monde. C’est presque réel. Et la concrétisation du Shai-Hulud dans Dune… rien qu’en en parler, j’en reste sans voix.



L’amour qui franchit les lignes — Cold War, Challengers, Phantom Thread

Challengers


— On savait que tu aimais Cold War et Phantom Thread, mais Challengers est une surprise.


C’est un concentré de dopamine. Chaque scène frappe fort. Les plans se trahissent entre eux, les cadres se contredisent, et pourtant le tout forme une structure circulaire parfaite. C’était grisant. J’ai adoré le fait que ce soit un sport — le tennis — où l’on ne doit pas franchir les lignes, alors que le film, lui, les franchit allègrement.


— Dans ces trois films, les protagonistes essaient tous de dominer l’autre dans leur relation amoureuse.


Et pourtant, ce sont des gens qui vivent une vie parfaitement saine en dehors du couple ! (rires) En général, celui qui émet du charme est plus obsédé que celui qui le reçoit. Mais d’un autre côté, émettre, c’est aussi ressentir pleinement l’amour. C’est une bataille où celui qui s’attache le plus est aussi celui qui prend le plus de plaisir. Et puis il y a des personnages comme Alma (Phantom Thread, Vicky Krieps), qui finissent par découvrir leur propre pouvoir d’attraction. Quoi qu’il en soit, dans toute relation, ce qui importe, c’est de se connaître soi-même.


— C’est vrai. Aimer, c’est surtout apprendre qui on est, au fond.


Je me le répète sans cesse. Si je ne m’aime pas, je ne peux pas offrir à l’autre mes bons côtés. C’est aussi lié à la notion d’influence positive. On peut se laisser aller, bien sûr, mais si je suis parent ou supérieur hiérarchique, il m’incombe aussi de me contrôler, de faire preuve de professionnalisme. C’est ce que je crois être un bon père, un bon aîné.


Cold War


— Ces trois films montrent des personnages au talent démesuré, captivés par celui de l’autre, au point de vivre l’amour comme une compétition.

Un genre de romance bien particulier.


Peut-être que ce qui m’attire, c’est l’idée d’un amour où ma seule existence suffit à remplir l’autre, ou bien un amour qui donne une inspiration artistique. La scène que je préfère dans Cold War, c’est quand Zula (Joanna Kulig) chante dans un club parisien. Même si son mari est dans la salle, elle court vers Viktor (Tomasz Kot). Elle franchit la ligne. Dans la vraie vie, il faut respecter les normes. Mais dans une salle de cinéma, cette transgression est cathartique. Et face à cet amour inconditionnel, je me demande : « Lee Jun-hyuk, pourrais-tu en faire autant ? »


— Ces histoires se déroulent dans le monde des arts, pas des maths ou des sciences. Le public a toujours eu un faible pour les mélos mettant en scène des artistes.


Peut-être parce que ce sont des récits faciles à magnifier, visuellement très forts. Ou parce que les cinéastes, eux-mêmes artistes, racontent ce qu’ils connaissent.


— Ou peut-être parce qu’en amour comme en art, la perfection est impossible, alors on cherche cette satisfaction par procuration, au cinéma.


Prenons La Pianiste de Michael Haneke : même quand la relation est régie par des règles extrêmes, si ce sont des artistes qui en sont les protagonistes, le public accepte. Autrefois, on aimait beaucoup explorer le psychisme des artistes. La société idolâtrait les génies solitaires. Comme tout revient à la mode, ce genre reviendra sûrement. La dernière réplique de Black Swan – « J’étais parfaite » – résume bien ce fantasme. Chaque acteur rêve, au fond, d’atteindre cette perfection dans son jeu. C’est pour ça que j’ai fondu en larmes dans Babylon, quand un simple papillon entre sur un plateau de tournage chaotique, scellant une scène imparfaite mais sublime.


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